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Discours de Maître Gasparri pour la réception de Didier PRALON (la page du savant)

Discours pour la réception de Didier PRALON

Le vendredi 18 mars 2011

Amphithéâtre de l'lnstitut de Médecine Tropicale

 

 

Monsieur,

 

C'est par cette apostrophe, sans doute trop brusque et solennelle, qu'est reçu, selon la coutume, celui qui entre au sein de notre compagnie et cette sèche attaque verbale, pourrait me faire regretter d'être, aujourd'hui, ici, en deçà des Alpes et en deçà du Rhin : là-bas au moins, je vous aurais accueilli, cher professeur, par un HERR DOKTOR percutant ou un flamboyant ILLUSTRISSIMO PROFESSORE, mieux adaptés à l'abondance de vos titres et de vos publications, ainsi qu'à votre parcours professionnel, que je connaissais en partie, mais qui, entièrement révélé par votre lettre de candidature, n'a pas manqué de m'impressionner.

Et quand il m'a fallu pour les besoins de cette cérémonie, trouver un mot, une expression propre à vous présenter, c'est le verbe « APPRENDRE » qui s'est imposé à moi.

Parce que « Apprendre » - vous l'avez démontré - c'est, d'abord, saisir par l'esprit et acquérir pour soi, des connaissances et c'est, ensuite, transmettre à autrui ces mêmes connaissances et les faire partager.

« Apprendre », ce verbe ambivalent, nous enseigne qu'on peut transmettre sans s'appauvrir, partager sans se diviser.

« Apprendre » dans la double acception du terme, va, ainsi, me permettre de vous faire connaître par nos Confrères ici présents et de vous présenter à eux.

 

Tout commence en 1943, année où vous naissez à PARIS et y effectuez toutes vos études classiques jusques et y compris à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm, où, en 1968, pendant que d'autres dépavaient les rues et jetaient des livres précieux par les fenêtres, vous avez obtenu votre agrégation de grammaire.

C’est, alors, que vous quittez la Capitale pour la Provence, car, nous l'avons vu, vous n'êtes pas méridional de naissance : nul n'est parfait, n'est-ce pas ? et cette Provence, Dieu Merci, vous ne la quitterez plus.

Je pense même que vous avez fini par l'aimer dans ce qu'elle a de plus authentique, ayant élu domicile sur les berges de la Durance, à la Roque d'Anthéron, cette « Cité aux mille visages" aussi proche du Luberon que des Alpes et de la Méditerranée, domicile d'où vous pouvez, l'été, lorsque les cigales, épuisées, renoncent à leurs crissements, vous laisser séduire par tous les prestigieux interprètes qui font, depuis plus de vingt ans, la réputation du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron.

 

Mais revenons à votre carrière.

D'abord assistant de langue et littérature grecques, à l'Université de Provence, vous  devenez, successivement, Maître Assistant puis Maître de Conférences.

Après avoir obtenu, votre Doctorat ès Lettres en 1995, vous êtes nommé Professeur en langue et littérature grecques, auprès de cette même Université, et, aussi, Directeur de l'Ecole

Doctorale « Espaces, Cultures et Sociétés »

Plus tard vous avez dirigé l'A.G.A.P. Association des Professeurs de langues Grecque ou Latine.

En activité, vous avez fait porter vos recherches, principalement sur la poésie - Homère et le Théâtre, tragique ou comique - sur les poètes, classiques et hellénistiques, mais aussi sur les fragments des Lyriques et des Elégiaques, sur la philosophie et, principalement, les présocratiques - Démocrite et Aristote, par exemple - sans toutefois négliger les autres.

Mais, un jour, il vous fallut bien admettre, que les années s'étaient accumulées sur votre tête, au même rythme que sur celle des autres et le 1"' janvier 2009 vous devenez Professeur Emérite ce qui est l'euphémisme élogieux pour Professeur Retraité, jouissant, après son temps d'activité, des honneurs de son titre et, à cette occasion, pour honorer une vie professionnelle hors du commun, vos pairs ont recueilli ou écrit, pour vous, un recueil de textes sur les ç Fondements de la tradition

classique >

Mais ce titre de «  Retraité » si je peux me permettre l'usage de ce mot, ne signifie pas grand-chose pour vous qui avez, fort habilement, il y a quelques années déjà, épousé, une

Enseignante de Lettres Classiques, pour de nombreux et justes motifs, certes, mais aussi, j'en suis sûr, pour pouvoir, lorsque vous étiez actif, parler Latin ou Grec, à la maison, même à table et dans l'intimité, et, ne l'étant plus, vous assurer un auditoire de tous les instants.

Ce ne sera, donc, pas ce changement de statut qui vous éloignera de la pratique quotidienne de ce qui a constitué l'occupation de toute une vie, à savoir l'Enseignement et la direction des recherches, à tous les niveaux du cursus universitaire, tant dans le domaine de la langue que dans celui de la culture grecque ancienne, en général, et de la transmission de cette langue et de cette culture jusqu'à nos jours

 

Aujourd'hui, Professeur Emérite, vous continuez de diriger, avec votre confrère Gilles

DORIVAL, un séminaire sur les textes et les documents de la Méditerranée, de guider des Doctorants, de participer à des colloques, de publier des recherches, de participer à des activités de valorisation de la science, notamment aux journées de l'Antiquité en Provence et Languedoc Roussillon que vous avez créées et dirigées avec vos confrères Gilles DORIVAL, déjà nommé et Jean GUYON, qui était, alors, Directeur du Service Archéologique de la Région et qui est, aujourd'hui, l'un de nos confrères

 

Ces Journées de !'Antiquité font, dans les premiers mois de chaque année, et ce depuis vingt ans déjà, les délices de ceux qui, à l'inverse de la mode paresseuse et ennemie de tout effort au nom de l'efficacité ou de l'immédiate rentabilité, refusent d'oublier l'étude du passé, dont l'objet est de faire connaître , dans toutes leurs diversités, les entreprises actuelles qu'inspire le passé culturel le plus ancien et le plus menacé par l'oubli.

 

Je n'ai nullement l'intention, maintenant, d'énoncer, même brièvement, tout ce que vous avez écrit jusqu'ici, la liste en est fort longue et son rappel prendrait les traits d'un catalogue, lecture

oiseuse, qu'il me faut éviter à tout prix, mais comment ne pas relever parmi tous les autres, vos ouvrages ou articles sur « le matriarcat, un thème discrédité »  « prières en Méditerranée » « la beauté nue, quinze siècles de peinture grecque » « les puissances du désir dans la religion grecque antique » « la théorie platonicienne de la réminiscence » toutes oeuvres citées au hasard, pour souligner la diversité de votre curiosité et votre manière de la satisfaire.

 

 

Il me faut, aussi, souligner que vous avez collaboré, occasionnellement, à la Revue

« Marseille » ce qui créait, déjà, un lien avec notre regretté confère Roger DUCHENE dont vous avez la tache, aujourd'hui, de rappeler le souvenir, « Revue Marseille » qui est actuellement dirigée par Pierre ECHINARD, l'un de nos autres confrères, ici présent.

 

En outre, je ne dois pas passer sous silence le fait que vous avez, encore, en préparation , de nombreux ouvrages ou articles - dont un sur un personnage presque Marseillais puisqu'il était né à Cassis, l'abbé Barthelemy, auteur du célèbre « voyage du ieune Anacharsis en Grèce » - et deux autres intitulés « synthèse sur Homère » et « Synthèse sur Hésiode »

Ayant écouté, récemment, et avec un réel émerveillement, vos deux conférences sur ces deux poètes, je forme le voeu que vous puissiez, très vite, les proposer, sous forme de

« Communications » ou de « Grandes Conférences » à nos confrères, qui vous accueillent aujourd'hui et qui vous connaîtront mieux, tout à l'heure, grâce à votre discours dit « de

Remerciement ».

 

Je ne peux pas, davantage, occulter que malgré vos occupations si nombreuses et si diverses vous avez été la providence des associations philhellènes de Marseille, et, en particulier de l'Association France-Grèce , et de l'Association Massilia-Graecorum qui, l'une et l'autre, s'étant donné pour tache d'amener au philhellénisme des personnes pas ou peu averties, mais désireuses d'acquérir une meilleure connaissance de l'art, de la culture, de la pensée grecques, ont, souvent fait appel à vous pour les aider, sans jamais avoir essuyé le moindre refus.

Je pense que Pierre ECHINARD ne me démentira pas si je me permets de l'associer à cette expression de gratitude.

 

€Enfin, vous êtes membre du Comité d'Honneur de l'Association N/AUSTCAA qui a fait le pari, un peu fou, d'apprendre un peu de Grec aux enfants du primaire et même de maternelle et qui y réussit, créant, ainsi, chez ces enfants une curiosité et un réel désir d'en savoir davantage, plus tard.

Pourquoi, alors, ne pas penser, avec Jacqueline de Romilly au vers d'Homère, parlant de Nausicaa sans aucune allusion à sa prestance ou sa beauté mais se bornant à dire tout cela en un émouvant raccourci : « ses parents devaient être fiers d'elle ».

De l'association Nausicaa aussi, ses parents, dont vous êtes, doivent être fiers et fière, aussi, notre Académie qui n'avait pas attendu bien longtemps après sa naissance, pour l'honorer et l'encourager, en lui décernant son Prix Gravier,

Vous-même, en vous penchant sur son berceau, avez démontré que votre démarche

intellectuelle, tendue vers toujours plus d'excellence et occupée de si grandes choses peut, quand la chose en vaut la peine, s'éprendre des toutes petites.

Et vous avez, aussi, démontré que, pour vous, « Apprendre » est bien le verbe ambivalent que j'évoquais, tout à l'heure.

 

Cher Monsieur PRALON, Jacqueline de Romilly disait, en parlant de sa vocation, qu'elle était née d'une lecture fortuite de la Guerre du Péloponnèse de THUCYDTDE et, de cette rencontre, devait résulter la carrière que l'on sait et que vous savez, il est vrai, mieux que personne puisque vous avez, tout récemment fait l'éloge de cette féconde helléniste, à l'occasion de sa disparition, devant les Autorités aixoises, qui vous l'avaient demandé.

Alors, la question que nous sommes nombreux à nous poser, à nous même, bien sûr, mais surtout à vous, par une curiosité que vous voudrez bien nous pardonner, est la suivante :

Quelles ont été les circonstances à l'origine de votre propre choix : Ce choix était-il la conséquence d'un calcul de carrière ou d'un « coup de foudre » qui, de toute manière ne serait pas né d'une rencontre avec Thucydide, car, sauf mauvaise lecture de ma part, je ne retrouve pas ce nom dans la liste innombrable des auteurs qui ont inspiré vos travaux.

 

Certes tous ceux qui, à des titres divers, se sont enflammés pour l'Hellénisme, ont été séduits par cette civilisation qui, plus que toute autre, s'est passionnée pour l'art de dire, de témoigner, d'analyser l'homme, d'aspirer à l'Universel, mais, pour un étudiant, arrivé à l'heure du choix, plusieurs autres disciplines ou carrières s'offrent encore à lui et il doit pourtant, en un instant, décider pour toujours.

Lorsque, pour vous, est arrivé l'instant de désigner ce qui serait l'amour de toute une vie, au prix de la perte de tout le reste, à quelles inclinations du coeur à quel penchant de l'esprit avez-vous obéi ?

 

C'est pour répondre à ces questions et satisfaire notre curiosité, que je vous laisse,  maintenant ta parole pour "votre discours de remerciement."