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Dionysos le dieu mystère (la page du savant)

Dionysos le dieu mystère

Choisir Dionysos comme sujet de conférence est une entreprise redoutable et je sollicite votre indulgence car la complexité de ce dieu et sa violence ne peut qu’intimider quiconque entreprend de s’intéresser à lui. C’est à lui aussi que je m’adresse, espérant que la façon dont je vais le présenter lui conviendra et qu’il me laissera terminer sans me jeter dans un de ces transports bacchiques dont il a le secret.
Nous commencerons par la généalogie de Dionysos, ses attributs, puis nous étudierons la spécificité de cet étrange dieu, ce que j’ai appelé l’étrange étranger, enfin nous verrons comment un tel dieu a traversé le temps, laissant son empreinte à travers les millénaires.
I) Généalogie de Dionysos : Identité/Altérité

Dionysos est bien sûr ce dieu « né de la cuisse de Jupiter » mais surtout il est le seul dieu admis parmi les immortels à avoir pour mère une mortelle : Sémélé. Comme le souligne Jean-Pierre Vernant, toute l’histoire de Dionysos est centré sur l’identité et l’altérité. Il est le dieu de l’extérieur, étranger à la πόλις et la perturbant.
Il connaît plusieurs morts et plusieurs naissances. Qu’il soit originaire de Thrace ou autochtone, il est perçu comme « étranger », mais je développerai ultérieurement cet aspect.

1) Autochtonie des origines
Dionysos a pour grand-père Cadmos, qui vient de Phénicie. Cadmos est le fils d’Agénor et le frère d’Europe. A la recherche de sa sœur (qui est en Crète), il est arrivé en Béotie et obéissant à l’oracle de Delphes, il s’est arrêté là.
Sur les conseils d’Athéna il tue un dragon et il sème ses dents dans la terre béotienne. De cette semaille/semence sortent des guerriers tout armés : les Spartoi (les semés), défenseurs et garants de l’identité thébaine.
Cadmos épouse Harmonie, et de cette union naissent plusieurs enfants (cf arbre généalogique) .
Agavé, une de leurs filles, et Echion (un semé ) ont Penthée tandis que Sémélé, une autre fille, enfante Dionysos après s’être unie à Zeus.
Dionysos est donc vraiment de parenté autochtone, au sens étymologique du terme.

2) Double naissance
Sémélé, désirant connaître son divin amant dans toute sa puissance olympienne, meurt foudroyée. Zeus préserve alors son futur fils en l’enfouissant dans sa cuisse. Hermès récupère l’enfant, une fois arrivé à maturation, et le confie à Ino (sœur de Sémélé et belle-mère d’Héllé, que nous avons rencontrée pour Médée) et Athamas. Se méfiant de la colère jalouse d’Héra, il recommande que le petit Dionysos soit habillé en fille.
Mais Héra frappe de folie les deux époux qui tuent leurs propres enfants. Ino, ivre de chagrin, se jette dans la mer avec le cadavre de son fils et tous deux deviendront des divinités marines favorables aux navigateurs sous les noms de Leucothée et Palamon.
Zeus reprend alors Dionysos en le transformant en chevreau et le confie aux nymphes de Nysa (la future constellation des Hyades).


3) Enfance et Jeunesse . Comment Dionysos impose son culte.
Adolescent, Dionysos découvre la vigne mais Héra le frappe à son tour de μάνια. Dans son délire, le jeune dieu erre à travers l’Egypte, la Syrie. En Phrygie, il est accueilli par Cybèle qui le purifie et l’initie aux rites de son culte. C’est elle qui lui donne la στολή, son costume de Bacchant.
Dionysos, guéri, arrive en Thrace d’où Lycurgue, roi de la contrée, le chasse violemment. Dionysos, apeuré, se jette à l’eau et c’est Thétis, la future mère d’Achille, qui le cache. Dionysos revient alors se venger : les Ménades (même radical que mania)sont délivrées, le palais entre en délire –le toit danse en transe bachique- et Lycurgue voulant abattre la vigne ennemie taillade et tranche son propre fils. Quand Dionysos lui rend ses esprits, Lycurgue s’aperçoit de son meurtre, son pays est devenu stérile. Il est alors écartelé car ses sujets le mettent à mort pour l’ expiation de la souillure.
Sa vengeance accomplie, Dionysos part en Inde qu’il soumet par la guerre et par ses enchantements. Il revient en Grèce et il gagne la Béotie, pays de sa mère.

A Thèbes règne Penthée, le successeur de Cadmos. Mais, alors que Cadmos et Tirésias, par frilosité de vieillards, acceptent l’idée d’un nouveau dieu, Penthée, qui incarne l’homme grec dans ses aspects majeurs (mesure, contrôle de soi, capacité de raisonner), rejette l’idée de ce dieu et de ce cortège de femmes.
Il ordonne à l’armée de se saisir des bacchantes et des femmes de la cité qui sont sur le Cithéron en proie au délire bacchique. L’armée revient battue et explique que ce qu’elle a vu sur le Cithéron est l’image même de l’âge d’or. Le seul résultat obtenu, c’est que les soldats en brisent l’harmonie.
Dionysos, habillé en prêtre, va, avec une intelligence de sophiste, éveiller la curiosité de Penthée qui accepte d’aller espionner les femmes. Il ne faut pas négliger dans quelle extrême le dieu pousse


son cousin qui refuse l’idée du nouveau dieu, donc qui ne croit pas à la grossesse divine de Sémélé. Il convainc Penthée à s’habiller comme lui-même, en vêtements féminins, cheveux dénoués. Pour un homme grec, c’est insensé. Il lui conseille de se cacher sur un pin. Nous sommes presque dans le phantasme : pour un homme qui méprise la gent féminine, à quoi peuvent se livrer toutes ces femmes en liberté ? Penthée oublie sa mesure et il en sera cruellement châtié. Mais laissons place à Euripide, Les Bacchantes, vers 1074-1142 :

Cf fichier bacchantes

Penthée démembré par sa mère Agavé, c’est l’inversion tragique du couple dionysiaque du fils et de la mère amoureusement enlacés.
Cadmos à la fin de la pièce reconnaîtra que Dionysos a été offensé d’être laissé sans honneurs dans Thèbes, justifiant ainsi le courroux du dieu. Dionysos aura un culte à Thèbes, ce qui rendra donc justice à sa mère : elle a bien porté le fils de Zeus. Ce dieu étrange et dérangeant est enfin accepté sur sa terre d’origine.


II) Etrange étranger
Les aventures de Dionysos se répètent en Argolide et à Athènes. A chaque rejet, la théophanie se rejoue avec violence et mort.

1) Epidémie/Théophanie
Le dionysisme se présente comme une épidémie. Ce sont les dieux migrateurs qui reçoivent des épidémies ou sacrifices offerts à leur arrivée. Au moment du départ, les mêmes sacrifices sont appelés apodémies. Les dieux qui circulent ainsi sont : les Dioscures, Artémis, Apollon. Et Dionysos. Lorsqu’ils résident dans une cité, seul ou ensemble, ce sont les Théoxénies. Le dieu épiphane qui aime à voyager est Apollon. Mais celui qui se manifeste essentiellement par cette parousie est bien sûr Dionysos. Les épiphanies d’Apollon sont réglées : il a ses fêtes attendues, ses itinéraires privilégiés. Dionysos est imprévisible, il n’est jamais sûr d’être reconnu et ce paradoxe le stimule et l’irrite à la fois. Différent des autres dieux, il risque à chaque fois de se voir renié. Mais l’errance est chez lui indissociable de sa nature.
Ses épidémies sont toujours pleines de bruit et de fureur et ses premières épiphanies relèvent de l’affrontement ou de la persécution.
Ses parousies nous montrent que, selon sa volonté, il peut nous rendre étrangers à nous-mêmes, et cela parfois au prix du sang et du meurtre.

2) Les arrivées du dieu
Les épidémies de Dionysos sont diverses : il peut arriver indirectement, c’est à dire par le biais d’effigies, de statues amenées par diverses personnes, des plus humbles aux royales.
Mais il peut aussi se présenter comme l’épiphane du vin. A Athènes, il est reçu avec bienveillance par Icarios, aussi le dieu lui fait-il don de la vigne. Mais les compagnons d’Icarios, ivres, ne comprennent pas ce qui leur arrive et se jettent sur leur hôte qu’ils frappent et abandonnent au fond d’un puit. Sa fille Erigone, aimée de Dionysos, se pend. Dionysos ne réagit pas à ce malheur et ce n’est que plus tard que l’oracle consulté invite à apaiser les morts. Aux Anthestéries, un rituel commémorait les amours tragiques de Dionysos et d’Erigone : on suspendait des balançoires aux arbres dans lesquelles on plaçait des jeunes-filles.
Après cet épisode où Dionysos s’était présenté incognito à Icarios, il revient à Athènes mais en divinité : pour être reconnu, il va encore choisir une parousie déconcertante. L’agalma de Dionysos est envoyée aux Athéniens sous la forme de Dionysos Mélanaigis (à la Peau de Chèvre Noire).
Mais les Athéniens restent perplexes et n’accueillent pas volontiers ce dieu. Alors toute la population masculine est frappée de satyriasis et l’oracle de Delphes donne la solution pour pallier cet état douloureux et incontrôlable : construire des phallus et les promener
en procession autour de la cité. Les Athéniens accueillent alors ce dieu qui a choisi une manière pour le moins originale de se présenter.
Dionysos voit son entrée par la porte du dipylon, la voie des grandes processions, avec le faste des Théoxénies comme les aime Apollon.

3) Dieu fou/ dieu sage
A côté de cet aspect consacré et plus policé (encore que…) lorsqu’il réside à Athènes , le Dionysos indomptable reste présent.
C’est le dieu du jaillissement, du bondissement.
Le dieu du vin est ŏρθος, celui qui fait tenir droit (idée de mesure mais seulement si le vin est préparé puis bu correctement ).
Mais en face de ce dieu droit apparaît le dieu du vacillement. C’est un dieu qui fait trébucher et le jeu qui l’honore le plus et qui se pratique aux Dionysies est l’askôliasmos, à savoir : sauter à cloche-pied.
La danse des Ménades est un bel exemple de ces mouvements spontanés et soudains, adjectifs qui sont aussi des caractéristiques du tempérament de Dionysos.
Mais revenons à ce bondissement, qui n’est pas sans rappeler le dieu cabri, le petit dieu sauvé de la colère d’Héra grâce à sa transformation en chevreau, ce dieu porteur de la nébride. Dans les cultes rendus à Dionysos, il y en a un très étrange qui nous est rapporté par Strabon :
Dans une petite île sur l’embouchure de la Loire, ( l’île de Batz ? ), des femmes, les Namnètes, observent une bien curieuse coutume. Une fois l’an elles enlèvent le toit du sanctuaire et doivent impérativement en remettre un nouveau, avant le coucher du soleil du
même jour. Toutes les Namnètes y participent et aucun homme n’a le droit de mettre un pied sur cette île. Chacune porte sa charge et celle qui trébuche, dont le fardeau tombe à terre, est immédiatement déchiquetée par ses compagnes qui promènent ses membres épars autour du sanctuaire en criant l’évohé. Elles ne s’arrêtent qu’à la fin de leur délire.
Cette manifestation du culte de Dionysos nous intrigue une fois de plus et montre le lien de la pulsion saltatoire de la transe dionysiaque avec le trébuchement de la victime dans cette parousie insolite.
Mais à côté de ce dieu qui ne tient ni en place, ni sur place, il y a le Dionysos civilisateur, celui qui, associé à Déméter, inaugure l’ère de la vie cultivée.
Il apprend à maîtriser la vigne, à boire comme il convient, et suivant les lieux, adopte un comportement adéquat. Le dieu de la possession à Thèbes n’est pas le même que le dieu discret( une fois accepté) qui réside à Athènes.
Cette discrétion se retrouve dans ses goûts architecturaux : il n’aime pas les grands et pompeux édifices, leur préférant un simple νάος avec un autel bordé de pampres au fond d’un bois.

Cette ambivalence a offert de nombreuses interprétations aux Grecs : pour les uns, Dionysos est le dieu de la religiosité sauvage à cause de ses origines thraco-phrygienne. Pour les autres, c’est un dieu méridional rentrant chez lui dans le Péloponnèse après une longue absence due à l’invasion dorienne et aristocratique.
C’est pour nous aujourd’hui une belle leçon d’ anti-xénophobie car il nous prouve qu’un groupe qui refuse de reconnaître l’autre devient monstrueusement autre.


III) Le mythe et ses conséquences
Dionysos est un dieu qui a avec ses fidèles un rapport étrange : il est à la fois très proche, allant même jusqu’à s’emparer d’eux dans les transes, mais c’est aussi un dieu mystérieux, auprès duquel il faut être initié, même ainsi il reste inaccessible, imprévisible.
Il accède à l’Olympe après avoir réconcilié Héphaistos et Héra, et c’est en dieu olympien qu’il épouse Ariane, la sœur de Phèdre.
Mais il reste impossible de le ranger dans un rôle défini, même si aujourd’hui il est de bon ton de qualifier notre époque de dionysiaque.

1) Les organes
Les organes qui vont être le domaine de Dionysos sont ceux liés à la palpitation, au jaillissement, au flux sanguin :Le cœur et le phallus.
Le cœur est bien sûr symbolique pour plusieurs raisons : c’est l’organe du petit dieu mis à mort par les Titans qui est dérobé et qui permet sa renaissance selon la théologie orphique.
Dans les transes bacchiques, c’est cet organe qui palpite au rythme du bondissement de la ménade. Il est le principe du vivant. C’est lui qui rend le petit humain sans cesse en mouvement, comme possédé. C’est donc cet organe qu’il faut apaiser et c’est ce que font les nourrices en berçant et en calmant par des rythmes de balancement. Un mouvement incessant pour couvrir la tendance saltatoire du cœur des tout-petits.
Encore une fois tout est lié.
Et le phallus ! C’est selon Aristote l’organe doué d’autonomie, comme le cœur, c’est un vivant autonome, comme le cœur, et c’est bien sûr l’élément fièrement présent dans les parousies de Dionysos. Cet organe est présenté ŏρθος et turgescent, prêt à couler comme le vin, prêt à jaillir comme une ménade en délire jaillit pour l’oribasie.
Rappelons pour l’anecdote que dans les cultes à mystères d’Eleusis, en hommage à Dionysos, dans une corbeille en forme de van, en référence au berceau du petit dieu, des gâteaux en forme d’organes sexuels étaient déposés.
Ces deux organes sont donc au cœur de la vie, de la dunamis, et bien sûr déroutent et fascinent à la fois. On comprend mieux la curiosité inquiète de Penthée, prêt à transgresser sa qualité d’homme en se déguisant en femme, et d’homme raisonnable pour savoir ce que font les femmes libérées de l’espace clos du gynécée derrière un dieu honoré par un phallus victorieusement érigé.

2) Le vin/le sang
Il n’est donc pas surprenant de rencontrer l’alliance du vin et du sang dans un tel culte.
Le vin écume, le sang bouillonne, nous sommes toujours dans cet élan de dunamis , de jaillissement, toujours dans le domaine du jaculatoire.
Nous avons vu précédemment que Dionysos avait laissé Icarios goûter le nouveau breuvage sans l’avertir de la puissance contenue dans cette perfide boisson. Lors de fastueuses Théoxénies, Dionysos, pour remercier de son hospitalité le roi Amphictyon, va révéler l’art de boire le vin. On retrouve la trace de ces conseils de sagesse, d’une étonnante actualité, dans une comédie d’Euboulos, au IV° siècle avant notre ère, Dionysos ou Sémélé. Le dieu s’adresse ainsi à ses compagnons de cratère :
« Aux gens sensés, je ne prépare que trois cratères ; l’un de santé ( hugieia ), celui qu’ils boivent le premier ; le second, d’amour et de plaisir ; le troisième, de sommeil. Après avoir vidé ce troisième, ceux qu’on appelle les sages vont se coucher. Le quatrième, je ne le connais
pas. Il appartient à l’insolence. Le cinquième est plein de cris ; le sixième déborde de méchancetés et de railleries ; le septième a les yeux pochés ; le huitième, c’est l’huissier ; le neuvième, la bile ; le dixième, c’est la folie (mania). C’est celui-là qui fait trébucher. Car versé dans un récipient étroit, il donne facilement le croche-pied à qui l’a vidé. »
Sang de la terre, le vin a la couleur du sang des hommes, à la différence de l’ichôr des dieux. Bien maîtrisé, il apporte à l’homme un sang neuf et le fait tenir orthos alors que mal préparé, il le courbe. Et si le vin pur est mélangé au sang d’une victime humaine ou animale, il scelle alors les serments les plus terribles (cf Les Sept contre Thèbes ).

3) La poésie : de la démesure au sublime en passant par le meurtre des Titans
Nous ne nous attarderons pas sur les rapports de Dionysos avec le théâtre car tout amateur de l’un ou de l’autre sait que les concours dramatiques avaient lieu pendant les Dionysies. Le théâtre au pied de l’Acropole est celui de Dionysos et point n’est besoin d’être allé à Athènes pour évoquer ces liens auxquels s’ajoute le politique.
En revanche, reprendre la réflexion à partir de la poésie nous amène à la genèse de l’art, comme l’a défini Nietzsche.
Dans La Naissance de la tragédie, en 1872, il explore la dualité des deux divinités : Apollon et Dionysos. Le modèle apollinien est le culte de la mesure, de la juste proportion, et le modèle dionysien celui de la démesure, de l'excès : « Apollon, dieu éthique, réclame des siens la mesure et, pour qu'ils puissent s'y tenir, la connaissance d'eux-mêmes ». La figure de Dionysos se trouve diamétralement opposée puisqu’elle incarne la démesure : « L'individu s'abîma en Dionysos, avec ses limites et sa mesure, et oublia la règle d'Apollon. La démesure se révéla comme vérité. »
Une opposition entre esprit dionysien et esprit apollinien. Mais si l’on se réfère au Phèdre de Platon « l’enthousiasme » poétique est une réelle dépossession de soi ; en ce sens, il est « folie » et démesure,. Mais, en même temps, l'enthousiasme est union avec le « theos », le dieu, le divin, l'ordre et l'harmonie absolus, c'est-à-dire la source même de toute mesure. Donc plutôt qu’une opposition, pourquoi ne pas voir la compète définition de la poésie dans l’union de ces deux dieux qui ont par ailleurs de nombreux points communs ( ne serait-ce que l’habillement car ils sont les deux seuls dieux à porter la stolê, safran pour Dionysos, pourpre pour Apollon).
Terminons enfin par le meurtre des Titans :
Couverts de gypse, masqués de plâtre, ils vont attirer l’enfant Dionysos en lui offrant une toupie, un rhombe, des poupées, des osselets et le fatal miroir. Pendant que le jeune dieu regarde, fasciné, son reflet, les Titans l’égorgent, le découpent, le font bouillir puis le rôtissent ; ils dévorent le tout sauf le cœur. Zeus foudroient les théophages, et de ces cendres apparaît l’espèce humaine. L’orphisme va nous permettre une lecture de ce meurtre et de ce banquet : les Titans annoncent les sacrifices rituels des hommes qui comme eux vont tuer d’innocentes victimes.
Le sacrifice sanglant dans le temps mythique est donc anthropophagique et Orphée enseigne le refus du sacrifice sanglant, il faut se libérer de la répétition du meurtre des Titans .
Quant au cœur de Dionysos, dérobé par Athéna, il permet à l’enfant de renaître.
Sont-ce ces naissances à répétitions qui ont marqué l’originalité du culte bachique puisqu’il est le seul à avoir imaginé une eschatologie issue de la transe et du délire ?


Conclusion

Nous quitterons Dionysos sans porter plus loin notre réflexion, comme la fin d’une transe et je me contenterai de rappeler quelques attributs caractéristiques de ce dieu appelé dithyrambe, bromios (bruissant, frémissant) dont l’évohé a donné le cri Iacchos, Iobacchos ( Bacchus) , -l’équivalent de nos you-you- :
- la végétation bien sûr avec la vigne, les sarments, le lierre, les roseaux qui donnent les pipeaux, et la pomme de pin (cf le thyrse).
- les animaux avec le bouc dont la denture est le modèle de la serpette pour la formation des yeux de la vigne, l’âne qui taille et écime en broutant les pampres, la chèvre ou le faon -métaphore du petit dieu dévoré- que l’on retrouve dans le port de la nébride ou de l’égide. Le lion ou le tigre, rappel du séjour en Inde.
- la sexualité avec le cortège de Silène et satyres, et l’ithyphallisme.
- le feu avec le dadouque porteur de torches qui réveille les femmes et les invite à l’oribasie, et l’eau avec l’humidité des marais .
- les instruments de musique avec les tympanon (tambourins) et les syrinx (flûte de Pan).
- la consommation de viande/vin : l’omophagie, écho du dieu dévorant/dévoré.


Bibliographie

- Euripide, Tragédies complètes II, folio 2105
- Marcel Détienne, Dionysos à ciel ouvert, Pluriel
- Marcel Détienne, dionysos mis à mort, Tel Gallimard
- Jean-Pierre Vernant, L’univers Les dieux Les hommes, Seuil
- Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF
Arielle Chopard